Felicia Mihali nous propose un autre regard

IRINA EST FILLE D’IMMIGRANTS et s’en porte plutôt bien. Ses parents se sont séparés et elle est revenue vivre avec sa mère après une aventure amoureuse. À l’université, un photographe la choisit pour une publicité. Une rencontre improbable qui transformera sa vie. Elle fait la une du magazine Actualités. La voilà un visage que l’on reconnaît dans les salles de cours et au travail. Un soldat en mission en Afghanistan lui envoie un message et c’est le début d’une correspondance, d’un amour peut-être, d’un tremblement d’être. Le militaire va peut-être changer son regard, la manière de mener sa vie. Que dire quand on devient une image, un fantasme, celle que tout un régiment aime ?

Je lis Felicia Mihali depuis Le pays du fromage, son tout premier roman, paru en 2002. Un texte qui nous entraîne dans la Roumanie de Ceausescu pour nous faire ressentir, au plus profond de nous, les démences de la dictature. Madame Mihali a vécu son enfance sous le joug de l’un des pires dictateurs de notre époque. Cette période l’a marquée et elle y reviendra dans plusieurs de ses publications. Elle s’intéresse aussi aux mythes fondateurs de l’Occident et m’a entraîné dans des temps lointains, avec Alexandre le Grand, en plus de me plonger dans la Chine mystérieuse.

Grande voyageuse, éternelle étudiante, journaliste et critique de théâtre à Bucarest, elle a amorcé une carrière d’écrivaine au Québec, s’imposant comme une voix originale et essentielle. Et voici La bien-aimée de Kandahar, un roman intriguant, surtout avec un titre semblable. C’est toujours comme ça avec Mihali. Elle nous pousse dans un monde difficile, devant les pires horreurs, sans avoir l’air de s’y attarder. La belle dormeuse du Pays du fromage ou encore Dina qui résiste à un despote, allégorie bien sûr à son pays d’origine, au combat de tous les jours qu’il faut mener pour protéger son intégrité physique devant les malades du pouvoir.

QUOTIDIEN

Irina vit à Montréal et s’y sent bien. Comme bien des personnages de Felicia Mihali, ce n’est pas une impulsive qui bouscule les gens et tente de secouer son quotidien. Elle se laisse plutôt porter par la vie, étudie, travaille dans une brasserie, vit des amours éphémères sans connaître les élans qui retournent l’être. Le personnage de sa mère est beaucoup plus tranché. Cette femme ne fait pas de compromis et vit comme elle l’entend, ne permettant à personne de diriger sa vie.

Ma mère n’a jamais travaillé au Canada. Depuis son arrivée ici, elle n’a fait qu’étudier, avec de petites pauses entre différents programmes universitaires. Elle détient un baccalauréat et une maîtrise en histoire, ainsi qu’en histoire de l’art, mais ne lui demandez pas dans quel but elle a fait ces études. Cette question la fait enrager. Pourquoi une femme devrait-elle étudier dans un but spécifique ? La passion ou l’intérêt ne suffisent-ils pas ? La vie idéale envisagée par ma mère est de pouvoir aller à l’école jusqu’à un âge vénérable, de rester à la maison et de se consacrer à son art. (p.9)

Irina accepte de poser pour le photographe et la voilà une vedette, celle qui fait tourner les têtes. Elle apprend à se voir dans les yeux des autres, découvre sa beauté, son charisme. Sa vie ne peut plus être la même.

Yannis, un militaire, un fils d’immigrant comme elle, se retrouve au bout du monde à faire la guerre. Il participe à l’intervention en Afghanistan, à la chasse aux terroristes, cette guerre sans fin. Il en est ainsi des affrontements de nos jours. La puissance militaire américaine, capable de pulvériser la planète, n’arrive plus à gagner ses guerres depuis son aventure au Vietnam. Les conflits s’éternisent dans des attentats de plus en plus sanglants, touchant particulièrement les femmes et les enfants.

QUESTIONS

Dans ses courriels, le militaire tente d’expliquer sa présence dans ce pays du bout du monde, ce qu’il ressent en frôlant la mort chaque jour, devant le regard des Afghans où il voit la haine. Pas facile d’être un étranger, de savoir que l’on impose sa présence à d’autres. La situation de conquérant détesté et admiré, l’occupation militaire, la pire forme de dictature même si elle se fait au nom des grands principes de la liberté. Ce n’est pas sans rappeler l’entreprise de Roxanne Bouchard et Patrick Kègle, dans En terrain miné, une correspondance d’un soldat qui servait à Kaboul et d’une écrivaine pacifiste.

Le jeune militaire est d’une lucidité étonnante et jette un regard particulier sur le monde et la vie. Irina sort peu à peu de son cocon, de cette forme d’hibernation. Il en est souvent ainsi dans une société où les individus sont réduits à l’état de consommateurs. Il faut peut-être confronter la mort pour sentir le flux de la vie, trouver un sens à l’existence. La guerre peut-elle rendre plus humain ?

Les jours suivants, j’ai commencé à jouer un rôle pour la deuxième fois dans ma vie. Cette fois-ci, c’était mon propre rôle, celui d’une femme aimée par un régiment de soldats canadiens, la meilleure chose qui arrivait à une foule de jeunes hommes se battant pour la justice en Afghanistan. Vers la fin de sa lettre, Yannis disait au magazine de me remercier d’être celle que j’étais. Mais qui étais-je, en fin de compte ? Je ne me connaissais pas assez pour me contenter de ça. (p.70)

Irina cherche à comprendre qui elle est, la migration de ses parents, ses études, ses passions d’enfance pour le théâtre, les personnages singuliers qu’étaient Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne-Mance. Yannis fait en sorte qu’elle revient sur ses pas, évalue son vécu. Pourquoi était-elle fascinée par les fondateurs de Montréal qui ont risqué leur vie pour leur idéal ?

Le militaire croit à la liberté et à la justice, se concentre sur les gestes les plus simples. Irina y voit le pendant de l’entreprise de Maisonneuve et de Jeanne-Mance qui, en s’installant à Montréal, ont dû oublier la France. La vie parfois, demande de tout risquer. C’est souvent le cas de l’émigrant qui doit tourner le dos à son passé.

Nous sommes tissés de doutes, eux, de passions. Ils nous apprennent que les souffrances du corps rendent les troubles de l’âme insignifiants. Pour nous, ce n’est que la douceur des souvenirs et des sensations lointaines qui nous aider parfois à faire face à la mort. Mais plus on vie ici, plus le spectacle du désert rend stérile la nostalgie. Le contact avec eux devrait au moins nous aider à extirper de nos âmes la névrose, afin de recommencer une nouvelle vie, dépourvue de désirs inutiles. (p.114)

Le roman de Felicia Mihali devient une réflexion, une quête, la recherche de l’humain dans toutes ses dimensions. Il y a toujours cette démarche chez elle, ce glissement qui se fait souvent sans heurts. Cette fois, elle le fait au Québec, sa terre d’adoption, dans « ce pays qui n’est toujours pas un pays ». Elle me touche particulièrement dans cette exploration.

Felicia Mihali, tout doucement, nous pousse dans ce tremblement d’être nécessaire à l’existence entière et pleine. J’aime son regard, ses propos sur la société, cette époque où les étourdissements et les fausses promesses dissimulent la déperdition et le goût de la mort.

De mon côté, je ne lui avais pas parlé de ma formule de la Vie, qui l’incluait amplement dans son équation. J’avais eu peur, ou honte peut-être, de reconnaître combien j’avais besoin de lui, et que ce ne sont pas uniquement les pays qui doivent être défendus, mais chaque individu aussi. Si je l’avais fait, il ne serait pas mort. Mon amour aurait peut-être joué un rôle dans la suite des événements, si je l’avais choisi pour la Vie et non pas pour la mort. (p.155)

Tout le drame du mal-être contemporain se retrouve dans ce roman qui ébranle et secoue les idées à la mode, les slogans publicitaires. C’est toujours un bonheur de lire un texte qui mise sur l’intelligence et repousse les fausses promesses. C’est tout l’art de cette écrivaine qui me questionne avec son regard et ses propos qui touchent l’âme, cette inconnue. Un roman qui donne de nouveaux yeux.

Yvon Paré vendredi 11 novembre 2016

« La bien-aimée de Kandahar » : raccourcir le temps et les distances

En 2007, un sergent canadien en mission en Afghanistan a écrit à l’équipe du magazine Maclean’s pour la remercier d’avoir publié la photo d’une jeune femme en page couverture. Adulée par tout un bataillon de soldats à Kandahar, la nouvelle cover-girl donnait du moral aux troupes. Le magazine MacLean’s a vite saisi l’occasion d’en faire un article sur celle qu’ils ont nommée « La bien-aimée de Kandahar ». Cela a aussi inspiré un roman du même titre à une auteure montréalaise d’origine roumaine, Felicia Mihali, connue, entre autres, pour son roman Le pays du fromage.

L’auteure a publié sept livres en français et deux en anglais. La bien-aimée de Kandahar est une réécriture de The Darling of Kandahar paru en 2012. Dans son roman, l’histoire de Paul Chomedey de Maisonneuve et de Jeanne Mance fait écho à la correspondance d’un militaire canadien et d’une cover-girl venue du « pays de Dracula » et habitant à Montréal. Derrière ces personnages historiques ou médiatiques se cache une humanité fragile et tourmentée. Felicia Mihali nous rappelle avec éloquence que les mythes sont davantage le reflet d’un espoir collectif que celui de la réalité. Outre ces histoires extraordinaires, le roman raconte également la vie d’une immigrante à Montréal, sa cohabitation avec sa mère, ses études, ses amours. Entretien avec Felicia Mihali.

En quoi l’histoire du magazine Maclean’s, publiée en 2007, t’a-t-elle inspiré l’écriture d’un roman?

J’ai lu cette histoire au cours de l’année 2007, lorsque la guerre en Afghanistan battait son plein. Le monde était encore enthousiaste et confiant dans le rôle bénéfique des forces armées étrangères en ce qui concerne l’annihilation des talibans et la libération de la population afghane de l’un des régimes les plus oppressifs qui soient. Un an plus tard, le Canada, comme le reste du monde, avait commencé à comprendre qu’aucune armée ne pourrait jamais exporter la démocratie, une sorte de plante fragile qui doit pousser dans la terre locale et non pas dans un port d’exportation.

Personnellement, je suivais chaque semaine le compte rendu des exploits de l’armée canadienne qui était encore soutenue à l’époque par la population, surtout dans le Canada anglais. Et c’est comme cela que je suis tombée sur la rencontre un peu fortuite entre un mannequin d’origine roumaine, Kinga Ilies, vivant à Toronto, et un soldat canadien, Chris Karigiannis, posté à Kandahar. Mais ce qui m’avait particulièrement troublée était le fait que trois semaines après leur rencontre virtuelle à travers les médias, le soldat mourait dans une explosion à la bombe. C’était une cruelle coïncidence que parmi les 40 soldats morts en Afghanistan, une des victimes soit le héros de cette possible histoire d’amour.

Mais ce qui m’avait déterminée vraiment à essayer d’immortaliser leur histoire, c’était le fait que le soldat soit un Lavallois, mon concitoyen si vous voulez, et que son corps soit enterré dans un cimetière de Sainte-Rose, non loin de chez moi. Je suis allée à l’enterrement par curiosité et pour vérifier aussi si la belle Kinga était là. Non, elle n’y était pas, et j’en étais déçue.

Dans La bien-aimée de Kandahar, il est aussi beaucoup question de la fondation de Montréal au 17e siècle. Qu’est-ce qui t’a amenée à superposer l’histoire de Jeanne Mance et de Maisonneuve à celle d’un hypothétique amour entre Irina, une étudiante montréalaise devenue cover-girl, et Yannis, un militaire canadien parti combattre en Afghanistan?

J’enseigne l’histoire au secondaire et j’ai toujours été fascinée par la fondation de Montréal, qui fut à l’origine une mission religieuse sans but commercial, à une époque où la Nouvelle-France n’était qu’un poste de traite pour la métropole française. L’explication est que la mission montréalaise des 40 hommes et femmes catholiques fuyant une Europe ravagée par les guerres religieuses était une mission humanitaire aussi, qui impliquait le travail des femmes comme Jeanne Mance et Marguerite Bourgeois, une infirmière et une sœur.

À partir de cet exemple, j’ai compris en partie pourquoi la mission canadienne en Afghanistan ne pouvait pas réussir. Cette guerre était portée par des hommes armés sans inclure le travail humanitaire, social, culturel qui est souvent le lot des femmes. Le rapport entre Yannis et Irina ressemble un peu à celui de Paul et de Jeanne, qui fut une amitié chargée d’affection, de dévouement. Il est intéressant de voir que Chris meurt en terre étrangère alors que sa mission est vouée à l’échec, tandis que Maisonneuve a réussi sa mission avec Jeanne Mance à ses côtés.

Selon toi, qu’est-ce que Yanis et les soldats de sa garnison ont vu dans la photo d’Irina qu’ils n’ont pas pu voir dans celles des autres mannequins?

L’amour reste une alchimie complexe qui refuse de se laisser analyser en laboratoire. Dans le livre, comme dans la vraie histoire du magazine Maclean’s, je suppose que c’est ce type de réaction simultanée entre mille particules secrètes qui se passe dans l’âme du soldat à la vue de cette femme. Le fait qu’elle est belle n’aurait pas suffi. Sur cette photo, elle garde une expression sereine, détachée presque de ce monde. Elle contemple plus qu’elle regarde devant elle. Je pense que c’est cette douceur qui manquait le plus aux soldats postés dans un endroit d’une violence extrême. Chris Karigiannis avait envoyé une lettre au magazine tout de suite, de façon impulsive, comme s’il savait ce qui l’attendait. Je pense que sa relation avec Inga (la vraie cover-girl), même aussi brève et virtuelle, a été la dernière grande belle aventure de sa vie.

Cette association entre Paul et Jeanne d’un côté et Irina et Yannis de l’autre ramène, entre autres, la question de la foi. Mais au lieu de les unir, elle ajoute encore plus de distance entre les deux personnages. Pourquoi?

En lisant les lettres du soldat, Irina se rend compte que Yannis manque complètement de ferveur chrétienne, ce qui, selon elle, doit être terrible quand on est à la guerre. Inutile de mentionner que depuis la nuit des temps, la foi a été le meilleur argument pour déterminer les gens à se laisser tuer. Yannis est un soldat d’un athéisme froid, d’où son drame. En tant que Grec, d’une part, et Roumaine d’origine, de l’autre, les deux appartiennent à l’Église orthodoxe, mais Irina avait été confrontée au catholicisme lors de son éducation à l’école Villa-Maria, un ancien monastère d’ursulines.

Sans être une fanatique, Irina a quelque chose d’une dévote, tout comme Jeanne Mance ; elle a une peur viscérale du péché, du conflit avec les parents ou les enseignants. Sa vie est réglée selon une hiérarchie presque ecclésiastique. Yannis, en revanche, est quelqu’un de complètement cérébral. Dans son monde teinté de sang, de violence et d’injustices, il n’y a pas de place pour un dieu, quel qu’il soit. Yannis meurt en quelque sort car il ne voit aucun but à sa mission, ni terrestre ni céleste. Après sa mort, Irina retourne encore une fois à la mission montréalaise, pour raconter la fin paisible de Paul et de Jeanne. Les deux avaient été unis par leur mission commune, mais aussi bien par la foi. Entre Irina et Yannis, ce lien qui transcende le monde physique est complètement absent. La conclusion du roman marque la déception d’Irina. Après l’enterrement de Yannis, elle dit qu’il n’y a pas de deuxième chance pour elle. Cette deuxième chance ne se réfère pas seulement à la rencontre d’un autre homme, mais de Dieu aussi.

La dualité entre les vocations d’explorateur et d’ermite est également présente dans ton roman. Qu’en penses-tu?

Je pense que le soldat répond bien à cette double définition. Il est un explorateur. Je crois que beaucoup d’hommes qui s’en vont à la guerre, au-delà de la solde généreuse, s’en vont poussés par leur obsession de découverte. Alexandre le Grand a conquis l’Asie sous plusieurs sortes de prétextes, mais je pense que la vraie raison était sa grande curiosité pour des terres inconnues. La plupart des recrues s’imaginent probablement que la guerre est une sorte de voyage à la solde du gouvernement.

Le nombre croissant de diagnostics de syndrome post-traumatique démontre combien grand est le contraste entre ce fantasme et la réalité. En même temps, Yannis est aussi un ermite. Les femmes en Afghanistan ne sont pour lui que des victimes. Même s’il connait bien les fantasmes des soldats de sa garnison, à mon avis, il n’y a aucun érotisme dans son regard. Même sa relation avec Irina se place sous le signe de l’ascétisme. Contrairement probablement à ce qu’un autre homme aurait fait, ses lettres sont complètement dépourvues d’allusions érotiques. Si Yannis n’est pas croyant, il rejoint la foi par sa grande pureté d’âme.

Alors qu’elle étudie à Montréal dans un groupe de maîtrise dont les membres sont issus de diverses nationalités, Irina remarque que même « si au premier abord, leur origine n’[a] pas d’importance, les alliances et les connivences se [forment assez vite] en fonction des pays et des anciens conflits. » Que signifie ce constat pour Irina?

Irina a grandi dans un contexte où son origine ne semblait pas avoir d’importance. Même si parfois les gens prononçaient mal son nom, cela n’était pas un argument pour se sentir discriminée. La relation avec Yannis, qui est Grec d’origine, réveille en elle une sensibilité dont elle n’était pas consciente. Cela nous montre en fait que, parfois, la discrimination dont les étrangers semblent être victimes vient d’eux-mêmes. Les immigrants amènent leur passé dans le nouveau pays.

Les Roumains et les Grecs ont eu une longue histoire commune à travers laquelle, apparemment, les dupes ont toujours été les premiers. Et jusqu’à la rencontre du soldat, cela n’avait aucune importance pour Irina. Sa correspondance avec Yannis, lui dévoile qu’elle reste en fait prisonnière des mêmes préjugés historiques que sa mère. Elle les déteste, même si les Grecs ne lui ont jamais rien fait à elle personnellement. Une société idéale serait donc celle où nous jugerions les autres selon nos propres expériences sans aucun préjugé historique.

Extraits :

« Vous ne vous tromperiez guère si vous me qualifiiez de banale, aussi banale que n’importe quelle personne sur cette planète, qui vit et meurt pour des desseins inconnus. Il n’y a aucun mérite à être né à tel ou tel endroit ni à mourir dans les lieux les plus inattendus, alors nos gaffes non plus ne devraient pas être jugées trop sévèrement, n’est-ce pas? » …

« Les talibans ne sont pour moi qu’une incarnation du pays, ce pays qui n’a jamais été une colonie, bien que l’Europe ait toujours été présente à sa frontière. Dans l’esprit des gens comme eux, les étrangers sont regardés comme des sots de génération en génération, car ils sont toujours rentrés chez eux la queue entre les jambes. Aujourd’hui, nous sommes ces sots vaincus par la montagne, par le froid, par le désert. »

Julien Fortin juillet 01, 2017, Les Méconnus

Une troisième solitude *** 1/2

Un temps arrive où nous devons remettre les pendules à l’heure. Sans trop regarder au-dessus de notre épaule ce qui a fait et défait notre vie, on mesure ce qui en a valu la peine. Si peu, le reste s’est désagrégé dans les fumées de l’oubli. Aucune nostalgie mais un sourire attendri sur la perte de notre jeunesse. On se dit qu’on aurait pu mieux faire, ne pas commettre les mêmes erreurs. Rien ne sert de leçon, nous le savons, de triste expérience. On a lu le roman de Félicia Mihali, La bien-aimée de Kandahar.

Elle s’appelle Irina, elle est belle, elle a vingt-quatre ans. Elle vit chez chez sa mère roumaine, celle-ci ayant divorcé d’un mari hongrois, puis s’est remariée avec un marin québécois. Sous des dehors affables, Irina est une jeune femme indépendante qui, pour payer ses études de littérature, est serveuse dans un bar. Elle aime la routine de la vie quotidienne, refuse de sortir le soir avec ses amis. Elle relate l’histoire de Yannis, avec qui elle a correspondu lorsqu’une photo de son visage à elle, publiée dans la revue Actualités, est parvenue au sergent canadien Yannis Alexandridis, posté à Kandahar. Photo qui l’a propulsée au rang de cover-girl par un bataillon de soldats. Il lui envoie un message électronique, la félicitant de sa beauté. Ils correspondront jusqu’à la mort de ce dernier. Il faudra qu’il soit tué pour qu’Irina comprenne qu’elle avait fait fausse route avec ce jeune homme, aux lettres angoissées, lui dépeignant la situation sociale du pays, le comportement méfiant des habitants. Questions futiles de la part d’Irina qui, à aucun moment, n’a demandé à son correspondant des précisions sur son rôle personnel en Afghanistan. Pourquoi a-t-il choisi d’aller faire la guerre dans un pays aux mœurs cruelles, déstabilisantes ? Si les questions d’Irina s’avèrent inconsistantes, les lettres de Yannis brillent d’une aura aveugle. Son point de vue est perçu par ses yeux d’étranger, parfois éveillés par la présence de deux Afghans mutés à son service. En réalité, qui est ce peuple ? Pourquoi la haine des talibans ?

Nous devons remonter à l’origine du roman pour saisir les intentions de l’écrivaine. Avant d’en arriver à Yannis et à ses lettres rigoureuses, parfois accablées, elle nous dépeint son amitié à l’école Villa-Maria, avec une fillette hollandaise, Marika. Ensemble, elles créent des pièces de théâtre, mettant en scène Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance, qui, en 1642, se sont établis en Nouvelle-France, pour fonder sur l’île « la ville de Marie, une ville mystique ». Épopée particulièrement fascinante, scrutée dans les moindres détails, jusqu’à prédire un sentiment amoureux entre les deux jeunes gens. Ces pans d’histoire s’opposent à une réalité plus moderne, celle de la guerre en Afghanistan qui, en 2007, battait son plein d’illusions sur l’intervention soi-disant salvatrice des Américains. Le désenchantement se fera sentir au fur et à mesure que les lettres de Yannis approfondiront le caractère ombrageux de supposés ennemis.

Récit complexe alimentant le thème de l’incommunicabilité entre les êtres, qu’ils soient d’origine étrangère ou proches de ce que nous sommes. L’erreur d’Irina est celle d’une femme amoureuse qui s’est créé un idéal en la personne de Yannnis, comme elle l’avait fait, adolescente, avec Maisonneuve et Jeanne Mance. Relations interpersonnelles trompeuses qui traversent les siècles, malentendus des temps actuels, déconstruisant une histoire basée sur la mémoire complice de deux fillettes. C’est le choix de Félicia Mihali que ce questionnement sans cesse évoqué à travers une identité aléatoire, avant que de graves malentendus nous interpellent. Faut-il que la mort, ou la séparation, nous fasse réaliser combien nous sommes contraints à affronter des points spécifiques, comme le départ définitif de Marika dans son pays, ou la mort de Yannis survenue lors d’une attaque à la bombe ? Plus jamais Irina ne connaîtra une amitié similaire avec une femme de son âge, pas plus qu’elle n’aimera un autre homme. Mais a-t-elle déjà aimé ? On en doute, ses deux liaisons précédentes n’ayant été que feu de paille…

Ce roman de Félicia Mihali est une réécriture de son récit The Darling of Kandahar, publié chez Linda Leith Publishing, en 2012. Le lecteur effectue un voyage identitaire explicitement narré dans les lettres de Yannis à Irina. Voyage reflétant le passé ordinaire de la narratrice, mais qui sans lui, n’aurait peut-être pas donné voix au sergent Yannis Alexandridis. On devine que l’écrivaine, Roumaine comme son personnage, s’interroge sur les raisons et causes qui rapprochent et séparent deux êtres mais aussi tous les êtres différents de soi. Contrairement au roman d’Alina Dumitrescu, traitant elle aussi de relations identitaires, privilégiant sa famille, Mihali a élargi un inventaire d’hommes et de femmes qui, à un moment instable de leur existence, ont sacrifié leur bien-être pour un exil solitaire qu’ils ont choisi pour nourrir leur foi en des êtres aux « connexions » multiples, dissemblables de ce qu’ils projettent. Sentiment forgé à même des incertitudes, qui nous révèle qu’une troisième solitude, celle de l’immigrant, s’inscrit à tout jamais dans une dimension que nous ne pouvons pas toujours déceler. Le regard sera toujours le regard trouble de Yannis sur les Afghans, celui fantasmé d’Irina quand, à l’école, elle incarnait le rôle de Jeanne Mance.

On a aimé ce récit aux multiples facettes, l’étendue sérieuse de l’écrivaine sur l’élaboration de la Nouvelle-France, l’indifférence affectueuse d’Irina envers sa mère, l’entièreté des sentiments qu’elle éprouve pour Marika, plus tard, pour Yannis. On ne peut s’empêcher de relier tous ces personnages dans une sorte d’ascétisme qu’entretient la foi passive d’Irina, faisant écho à celle de Jeanne Mance qui, elle, a réussi, en compagnie de Paul Chomedey de Maisonneuve, une mission autant dangereuse que celle de mal aimer des êtres à portée de main.

Dominique Blondeau, lundi 24 juillet 2017

Lire au-delà des apparences *** 1/2

D. nous a fait sourire. À la suite d’une déception amoureuse, elle affirme que les promesses d’un homme valent celles des candidats électoraux. La comparaison est prosaïque mais, ayant eu dans nos relations ce type d’énergumène, qu’on s’est empressée d’éliminer de notre vie, comment donner tort à cette amie qui s’est jurée de devenir comme saint Thomas. Croire un homme sur ses actes et non sur ses paroles. On parle du roman de Felicia Mihali, Une deuxième chance pour Adam.

Des livres nous surprennent. Nous les lisons pour ce qu’ils nous font découvrir, parfois peu de choses, comme le récit habile de cette écrivaine. On perçoit à peine les indices qui nous crèvent les yeux pour y déceler quelque anormalité. Est-ce le quotidien qui submerge notre façon de lire, de ne pas nous attendre à une histoire édifiante ? Quoi de plus banale qu’une femme — la narratrice — qui nous dépeint son existence avec son mari, ses cours dans une école pour adolescents difficiles, des rencontres occasionnelles avec ses amis ? Sauf que le mari, Adam, cinquante ans, a été victime des années plus tôt, d’un accident vasculaire cérébral. Si physiquement il fonctionne plutôt bien, ses facultés intellectuelles sont devenues celles d’un enfant d’une dizaine d’années. Il subit donc l’entière dépendance de son épouse.

Quand le récit commence, la narratrice promène le chien de sa fille, Sara, qui a pris des vacances pour fêter Noël ailleurs avec son amoureux. La narratrice et son mari ne sont jamais partis pour les fêtes d’hiver. Ils se cantonnent devant la télévision. Seuls, Sara et son compagnon partagent leur repas de Noël. Le ton est donné pour faire la connaissance d’un couple qui ne vit pas tout à fait comme les autres, l’état mental d’Adam obligeant son épouse à bien des attentions à son égard. Elle le surveille comme une chatte ses petits, nous devinons qu’elle aime fortement cet homme qui, aujourd’hui, l’emporte vers des jours plus heureux, insouciants. Cela n’est plus concevable maintenant qu’Adam ne survit que sous la coupe bienveillante de son épouse-gardienne. Ce jour-là, elle amène son mari au centre commercial pour acheter les cadeaux de fin d’année. Elle le laisse sur un banc, près d’un énorme palmier en plastique. Geste animal qui nous a fait penser au propriétaire d’une bête de compagnie, attachée devant la porte d’un lieu public, attendant que son maître ait fini de faire ses emplettes. Malaise et compréhension. Les moindres gestes d’Adam sont analysés, ses paroles disséquées par une femme souhaitant que son mari retrouve un niveau cérébral plus normal. Nous la comprenons. Mais un soir, la narratrice reçoit un appel téléphonique d’un ancien couple d’amis, Peter et Lara, qu’ils n’ont pas revus depuis vingt ans. Ceux-ci leur proposent de souper ensemble. Repère malaisé de la part d’elle et d’Adam de qui elle craint la réaction. Chacun enfermé dans ses pensées, les deux regardent la télévision.

Félicia Mihali profite de cet incident pour nous décrire des coutumes roumaines, comme l’anniversaire de Marta, une amie commune. Cérémonie qui se fête au restaurant durant une soirée très froide de l’hiver. Adam est de la partie. Elle, le surveille comme une mère son enfant. Tout le monde connait l’état de l’homme, chacun ne pouvant s’empêcher de l’observer, tel un handicapé attire le regard malgré soi. Pourtant « depuis son attaque, Adam a l’air éternellement heureux. » Phrase qui en dit long sur les cachotteries de l’écrivaine, qu’on ne détectera pas à une première lecture. Aveu rusé duquel il faudrait soupçonner une anomalie dans le comportement de cet homme soulagé, semble-t-il, de bien des vicissitudes freinées par sa femme, qui lui est toute dévouée. Intermède volontairement obscur. La narratrice nous emmène aussi dans son école, elle fait cas d’élèves rébarbatifs dont les parents, souvent les mères, dépassés par le comportement rebelle de leur progéniture, vivent dans le déni de leurs méfaits. De retour chez elle, la narratrice tient Adam au courant de ses péripéties scolaires, débattant aussi de sujets sensibles, comme le port du voile dans un pays laïque. Le communisme, l’admiration d’Adam pour Fidel Castro. Les raisons pour lesquelles tant de Roumains ont fui leur pays.

L’hiver déroule sa froidure, peu à peu se profilent les premières lueurs printanières. Réflexions sur les préférences alimentaires d’Adam avant et pendant sa maladie. Les difficultés, sinon la solitude, de la narratrice avec le cerveau atrophié de son mari. Une fois encore, les jours passent, comme les nôtres, fixés sur diverses et bénignes occupations. Faut-il avoir un grand malade chez soi pour donner tant d’importance à des détails qui n’en valent pas toujours la peine, ou bien notre regard est-il lui-même si étiolé qu’il distingue mal les contours de tant d’heures affairées ? Leur séjour de trois jours dans l’appartement de leur fille, sur Ridgewood. Dépaysement illusoire, comme pour chasser des mouches imaginaires, qui bourdonnent dans leur esprit fatigué. Au retour chez eux, son amour fou pour le corps d’Adam, qu’elle avoue sans retenue. Nous entrons dans le vif du sujet qui, à la première lecture, nous avait échappé. Dernière grande étape du parcours roumain : les obsèques du mari de Dora qui s’est tué dans un accident de moto. À la suite de cette macabre cérémonie, un appel téléphonique de Peter déclenchera un drame étouffé depuis une vingtaine d’années. La narratrice bondit dans un passé que le lecteur ne soupçonnait pas. Que nous lui laisserons découvrir.

C’est un roman qui n’en est pas tout à fait un. Si certaines séquences nous ont semblé parfois bavardes, certaines même inutiles, la fiction l’emporte quand nous sera dévoilé le drame dont a été victime la narratrice. Ce drame est-il responsable de la maladie d’Adam, on ne peut y répondre, le cerveau renfermant des circuits fermés impossibles à décadenasser. Récit qui nous a fait penser à une longue novella, la chute subtilement bien menée par Félicia Mihali, écrivaine expérimentée dont on a lu et apprécié la majorité des ouvrages. À lire dans un décor identique à celui décrit par la romancière. Des livres étant propices à chaque saison, le lecteur suivra-t-il mieux le périple accidenté d’un homme et d’une femme livrés à leurs souvenirs démantelés par les exigences d’une existence dissemblable des autres ?

On a aimé le double emploi du titre du roman, celui-ci ayant été publié une première fois en anglais, en 2014, par Linda Leith Publishing.

Une deuxième chance pour Adam, Felicia Mihali, Éditions Hashtag, Montréal, 2018, 167 pages

Dominique Blondeau,
lundi 5 novembre 2018

A young woman poses for the cover of a magazine. A Canadian soldier serving in Kandahar falls in love with her photograph and sends her an email message. « The darling of Kandahar » is the tale of love, loss, and displacement against the background of the war in Afghanistan.

Available now from Linda Leith Publishing

What The Gazette said about The Darling of Kandahar

Mihali’s novel is a rambling first-person narrative that follows Irina, a young Montreal woman of mixed Greek and Romanian descent. Irina doesn’t hold back in commenting about her divorced parents, or her relationships at school, university and at work. She becomes the object of infatuation of a Canadian soldier in Afghanistan who saw her sexy photo in a newsmagazine (this part was inspired by a true story in Maclean’s). Mihali’s English prose is expository rather than poetic, but she is sensitive to the incidents that form human feelings and relations.

Victor Swoboda (The Gazette, April 14, 2012)

3…2…1…Launch
« Linda Leith launches publishing house at the Blue Met »

……Having said all that, it should also be said that the books are great. Salutin’s essay should spark some interesting discussions about what works and what doesn’t in public education (his answer is that almost anything will work), and Mihali’s novel is gorgeous and topical, inspired by a real-life event. I have a feeling Linda Leith will be publishing for a long time to come, churning out slim novellas and essays that are socially relevant and also formally unique.

Mike Lake (Rover 2012: Spring Issue, No. 15)

A review of The Darling of Kandahar by Felicia Mihali

The premise of Felicia Mihali’s new novel The Darling of Kandahar is taken from a real-life event. After a young woman appeared on the cover of the 2007 University Student issue of Maclean’s magazine, a Canadian soldier stationed in Afghanistan, apparently taken with the photo, wrote a letter that was printed in the magazine. The media began calling the cover girl “the darling of Kandahar.” Mihali fictionalizes this girl as Irina, a Montreal student who is asked to pose for the cover of Maclean’s and later receives an email with the subject line “Hello from Kandahar.”

This is Mihali’s first book written in English after publishing seven novels in French. It’s an ambitious book, considering its scope of topics: life as an immigrant in Quebec, religious beliefs, the historical founding of Montreal, and the human impact of the war in Afghanistan. But, perhaps meandering from idea to idea is an accurate portrayal of the mind of a 24 year-old girl, painting the world in broad, far-reaching strokes.

Seeing Montreal through the eyes of her parents, immigrants from Romania and Hungary, Irina describes the city with an outsider’s perspective, yet an insider’s insight, making interesting observations about the experience of immigrants living in Quebec: “Two solitudes is it? What happens, then, to the third one, the lonely immigrant side, left on its own or, even worse, caught up in political game and sacrificed in multicultural speeches?”

As a high school student, Irina and her best friend took pleasure in acting out religious plays about the missionaries who founded Montreal. The story of Jeanne Mance and de Maisonneuve, for instance, takes up several pages. Though a bit long-winded, the story is told in a charming way and demonstrates Irina’s ability to throw herself wholeheartedly into the stories of others. She is a character who lives in her head; she doesn’t enjoy going out with friends, and finds herself increasingly showing agoraphobic tendencies, like her mother.

Irina asserts on the first page that “Young women have stories to tell, too …” The stream-of-consciousness narrative can draw the reader in with its intimacy, but can also ring false at times: “I guess it’s time I told you about my family,” Irina self-consciously narrates. She walks us through her family history, failed romances, and current life as a university student, telling the stories of the people around her as a way to explain more of herself. Although perhaps lacking in stylistic elegance, the narrative captures Irina’s inner thoughts well. “You wouldn’t be wrong if you called me ordinary,” she says, and indeed some of her observations are mundane. Others grasp at something larger: “I still wonder about the briefness of things that can later on rouse huge emotions, when they do not destroy you. Ten minutes is long enough to kill a person.”

The temporary celebrity that comes with having her photo on the cover of a national magazine brings Irina a new self-awareness: “I felt like this kind of wave, just part of the mass of water in the sea for so long, and now suddenly here I was with my very own exi tence.” And it is in the resulting relationship between Irina and Yannis, the Canadian soldier in Afghanistan, that the book really hits its stride. Unfortunately, this doesn’t begin until more than halfway through the book, and the relationship isn’t given enough space to fully unfold. Theirs is not a straightforward romance; in fact, it’s not a romance at all, but a tense correspondence that is conducted entirely by email and fraught with misunderstandings. As a result, the reader may ultimately feel unsatisfied by all that is left unsaid between Irina and Yannis.

Review by Lesley Trites   •  Published in the: mtlreviewofbooks.ca Summer 2012 issue

Star-crossed in Kandahar

the daily review, Wed., May 9

Carla Lucchetta

From Wednesday’s Globe and Mail

Published Tuesday, May. 08, 2012 5:00PM EDT

In 2007, a Canadian soldier stationed in Kandahar sent a letter to Maclean’s magazine to thank the editors for keeping him well informed, and also to compliment them for finding a new “pin-up” girl for him and his comrades to enjoy. He was talking about a wholesome-looking young woman posing as a student for the magazine’s annual university ranking issue. The young woman, Kinga Ilyes, became known as “the Darling of Kandahar,” enjoying a wave of media attention. The soldier, Sergeant Christos Karigiannis, unfortunately died a short time after he wrote the letter. The story is the subject of Montreal writer Felicia Mihali’s short novel (her first in English) and the first fiction to come out of Linda Leith Publishing, the new venture of the founder of Montreal’s Blue Metropolis literary festival.

Mihali imagines a brief e-mail correspondence between the soldier she renames Yannis and the darling, Irina. Both immigrants to Montreal, they do not flirt or reveal anything exceptionally personal, but rather discuss religion, politics at home and abroad, and the everyday life of combat and peacekeeping in Afghanistan. Irina does not let on that – through his long discourses on his activities in the Middle East, his attitudes toward its customs and the war in general – she hasfallen completely in love with him.

Twenty-four-year old Irina lives with her divorced mother, whose new sailor husband is away most of the year, an arrangement born out of convenience more than affection. Irina has had two previous boyfriends, but neither captured her attention like Yannis. The only other close person in her life has been a childhood friend, Marika, with whom she has lost touch. She fondly remembers the times they would re-enact the settlement of Montreal, playing the various missionaries, military leaders and politicians involved. Her longing for her old friend seems grounded in the same point of connection as with Yannis: religion, politics, strangers in a strange land.

Mihali has a great deal to say on these topics, as well as the status of Montreal’s immigrant community. The more compelling story of the budding – but tragically short – relationship between a lonely soldier and a solitary young woman suffers from too little space. It’s treated as a sidebar, rather than the main event. Yet, there are moments when the clunky expository prose happily gives way to more creative and imagistic storytelling. The star-crossed relationship concludes in Irina’s mind with one of the most romantic ideas around: that declaring her love for Yannis, not holding back because of fear or timidity, would have given him a reason to survive the war.

This returning thought seems too much for Irina. After Yannis’s death, her “pin-up” fame fades, as does her desire to find a new love, and she fully surrenders to the routines of life with her mother. Despite her claims that she has been unmarked by her parents’ divorce and other shifts in her young life, she seems unable to get past her experience of being a lifeline to her darling soldier and a darling to a bored media trying to take credit for a fairy-tale war story.

Carla Lucchetta is a writer and essayist for TVO’s The Agenda with Steve Paikin. Her book Lonely Boy, sons writing about their absent fathers, will be published next year.

 Felicia Mihali este una dintre cele mai interesante voci ale romanului contemporan, o prozatoare cu un talent înnăscut de povestitor, cu o viziune amplă asupra identității feminine de-a lungul epocilor și de-a latul meridianelor. O dovedesc romanele anterioare, scrise la început în limba maternă (Țara brânzei, 1998; Mica istorie, 1999) apoi – după emigrarea în Canada – în limbile franceză și engleză: Le Pays du fromage (traducere, 2022); Luc, le Chinois et moi (2004); Sweet, sweet China (2007); La Reine et le soldat (2005), Dina (2008); Confession pour un ordinateur (2009); The Darling of Kandahar (2012); A Second Chance (2019). Construind personaje puternice, de neuitat, autoarea expatriată la începutul anilor 2000 este marcată de problematica exilului, a condiției de imigrant prins între un trecut plin de decepții și un viitor nesigur. Cu atât mai mult în cazul femeii, situația de entre-deux este generatoare de angoasă, mai ales când trebuie să facă o nouă alegere: între doi bărbați. 

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De Elena-Brândușa Steiciuc

Jupanu, 27 octombrie 2022

Eu, Luca si Chinezul, un roman qui fera des ennuis même au Président du pays

Après une parabole biblique greffée sur la civilisation chinoise, la jeune écrivaine se tourne vers la réalité immédiate, avec un roman d’une actualité violente. Après le livre de début, Le Pays du Fromage, qui décrivait d’un œil cynique, mais sincère, le monde dégénéré du village roumain contemporain, c’est la ville qui entre dans l’attention de l’écrivaine, éduquée à l’école dure du journalisme roumain depuis ’89.

L’ÉVÉNEMENT DU WEEK-END, 3 mars, 2000

Love Story et presse de scandale

Après Le Pays du Fromage et La Petite Histoire, publiés l’année dernière, Felicia Mihali s’impose de nouveau dans les premières lignes avec un roman surprenant, qu’on lit du bout du souffle. Cette fois, le crayon aigu de l’écrivaine attaque un monde très familier pour elle, la rédaction d’un journal de scandale…. Les deux narrations qui s’entrecoupent sur un chemin sinueux, font preuve d’un talent bien cultivé, d’une vocation de véritable psychologue, d’une admirable capacité de bâtir des personnages et de décrire des morceaux de la vie réelle. Eu, Luca si Chinezul nous confirme, après les autres deux romans, que Felicia Mihali représente une voix vigoureuse et singulière de la littérature roumaine actuelle.

Gabriela Hurezean, NATIONAL, 23 février, 2000

Formula AS

Le troisième roman de Felicia Mihali, paru en moins d’un an après le premier, prouve qu’elle est une écrivaine professionnelle, de longue distance, vouée au succès populaire, bien qu’elle n’écrive point ce qu’on appelle « littérature de consommation« . Le talent et la facilité d’écrire dans des registres assez différents, le fait qu’elle n’écrive pas seulement pour le divertissement, mais parce qu’elle a vraiment quelque chose à dire, me détermine à lui prédire une carrière littéraire brillante.

Adriana Bittel, FORMULA AS, 20-27 mars, 2000

Eu, Luca si chinezul des coulisses médias et de l’amour oriental

L’auteure du Pays du Fromage et de La Petite Histoire récidive. Pendant les derniers huit mois elle est arrivée à la performance unique de donner sur le marché des livres encore un volume, Moi, Luca et le Chinois….Les deux mondes, surpris d’une manière tout à fait différente de la mode littéraire actuelle, confirment l’unicité d’une voix très originale d’une écrivaine qui appartient déjà au prochain millénaire.

Corneliu Ciocan, L’ÉVÉNEMENT DU JOUR, 1 mars 2000

Metrobus

« J’ai essayé de décrire le plus fidèlement possible le monde de la presse écrite où règne le goût pour la violence et très peu l’appétit pour la culture……Je reconnais que je suis une écrivaine extrêmement cynique. Je me suis questionnée moi-même à ce sujet et je me suis rendu compte que j’ai gagné cette qualité à l’école de la littérature néerlandaise…..Luca est un alter ego masculin. Il est l’ami idéal qui m’a sauvée de l’encombrement. Luca est l’image même de la culture qui nous semble faible, vulnérable, mais qui est très résistante pour autant. »

interview réalisée par Mariana Nicolae, METROBUS, 28 février, 2000

Articles traduits du roumain

La journaliste Felicia Mihali débute en force avec un roman au sujet de l’échec et de la solitude

….Felicia Mihali brise toutes les normes conventionnelles de notre littérature, débutant en force avec un roman qui choque non seulement par sa manière cruelle d’aborder les thèmes de l’amour et de la solitude, mais aussi par la précision aiguë de son expression stylistique. Polémisant violemment avec les prosateurs des « racines », Felicia Mihali constate amèrement que toute tentative de retrouver le passé est impossible. « Dès maintenant, rien n’arrêtera ma chute » voilà la dernière conclusion du livre. Jusqu’à ce moment-ci, personne n’a usé dans notre littérature d’une lucidité aussi cruelle. À 32 ans, Felicia Mihali promet de grands livres, non-conformists, inquiétants.

Ion Zubascu, ROMANIA LIBERA, 29 juin, 1999

Le début littéraire de la journaliste Felicia Mihali est remarquable.

Loin de ce qu’on appelle « littérature féminine » son roman et originel non seulement par thème, mais aussi par le style bref, sans le moindre artifice. Utilisant des moyens simples pour décrire l’atmosphère d’agonie qui domine, le roman de Felicia Mihali est révélateur pour la mentalité d’une génération entière: celle des jeunes qui ont perdu leurs racines et qui errent continuellement à la recherche de leurs repères.

Adriana Bittel, FORMULA AS, 9-16 août, 1999

Un talent de 24 carats

Le plus spectaculaire début en prose enregistré chez nous au dernier temps est celui de Felicia Mihali – 32 ans, journaliste à « L’Événement du jour ». Son roman, Le Pays du Fromage se remarque même du titre par un style offensif et démystificateur. Comme écrivaine, elle a les mouvements sûrs et rapides de ceux qui attrapent des serpents. Ce qui la caractérise est un mépris profond et, de même, un irrémédiable manque d’illusions. Des images de la décrépitude, des sons aigus, des odeurs désagréables, rien n’échappe à cette témoigne incommode.

Alex.Stefanescu, ROMANIA LITERARA, 11-17 août, 1999

La misophilie d’une vie déchirée

Le Pays du Fromage est le roman d’une chute psychique ou la « fiche clinique » d’une déchéance physique et d’une déroute morale. La confession d’une vie inutilement déchirée et marquée par la misophilie, le cynisme et la sexualité, régie par l’ennui ou par le désespoir. Un trajet fabulateur à travers l’hérédité érotique et malheureuse de la famille.

Dan.C.Mihailescu, 22, 7-13 septembre, 1999

Le terrible voyage de Felicia Mihali au Pays du Fromage

Le roman de début de Felicia Mihali est le produit d’une personnalité complexe, avec des perceptions aiguës et des états d’âme tellement bizarres. ….
On lit Le Pays du Fromage sans presque respirer, d’un bout à l’autre.

Gabriela Hurezean, NATIONAL, 24 juin, 1999

Le Pays du Fromage, le pays des abîmes du psychique féminin

Par son début, Felicia Mihali écrase tous les canons littéraires de chez nous. Son roman est un véritable choc pour les consommateurs de littérature roumaine contemporaine. Par les vécus de son héroïne, l’auteur détruit tout ce que peut signifier de l’innocence ou de la beauté dans la vie quotidienne. Les rappelles au monde de l’enfance ne signifient que la négation des anciennes valeurs du village traditionnel roumain.

Corneliu Ciocan, L’ÉVÉNEMENT DU JOUR, 24 juin, 1999

Dans la toile d’araignée de la féminité

Au bout des plans avortés, il y a finalement le cri de douleur d’une jeune femme intelligente mais mutilée par l’étroitesse de l’intimité. De l’horizon du village, de la médiocrité de la ville monte jusqu’à nous le message de quelqu’un soumis à des épreuves terribles.

Henri Zalis, LE CONTEMPORAIN, 6 avril, 2000