Felicia Mihali este scriitoare, profesoară de limba franceză pentru copiii imigranților din Montreal, iar de trei ani, la mai puțin de 20 de ani de când
a părăsit pentru totdeauna…

Felicia Mihali este scriitoare, profesoară de limba franceză pentru copiii imigranților din Montreal, iar de trei ani, la mai puțin de 20 de ani de când a
părăsit pentru totdeauna România a lansat propria editură, Hashtag.

A plecat din țară când cunoscuse notorietatea cu volumul Țara brânzei, avea o slujbă bine plătită de ziarist cultural la Evenimentul zilei, avea o casă și creștea singură un copil. Cu toate astea, a plecat din România fără remușcări cu patima de a găsi „mai binele” cu care, cu ani în urmă, când avea 14 ani, părăsise satul natal, un loc murdar și sărac, prins într-un ev mediu prăfuit.

Revine acum cu o provocare, aceea de a aduce în România autori îndrăzneți din Quebec și de a duce acolo scriitorii români. Editura ei, Hashtag a început o colaborare cu editura Vremea, iar luna viitoare vom putea citi un volum al unui autor queer, Fenomene naturale.

Citește interviul integral AICI

 

Interviu de Monica Tănase pentru Revista LIFE

Qu’est-ce qui a motivé votre décision de quitter la Roumanie et de partir? En Roumanie, vous étiez une professionnelle, vous aviez étudié à l’université, vous étiez déjà une journaliste et une écrivaine affirmée à Bucarest…

Oui, j’avais aussi une famille ce qui rend plus difficile la décision de quitter les lieux d’origine. Ma décision de partir en fait est venue plus tard, dix ans après  la chute du régime communiste qui nous tenait prisonniers à l’intérieur des frontières. En 1989, à la chute du mur de Berlin, j’appartenais à la génération  de 23-26 ans, et la libération nous semblait une véritable manne céleste. On espérait que, tout à coup, tout allait être chez nous comme en Occident, et   après avoir gaspillé notre enfance et notre jeunesse sous un régime totalitaire,  on pourra vite rattraper le décalage. Dix ans plus tard, on s’est rendu compte que c’était un rêve impossible, à cause des vieilles structures bureaucratiques communistes et de la corruption, difficiles à déraciner, mais surtout à cause d’un manque de culture démocratique. Déçus aussi par les régimes politiques pseudo-démocratiques, nous avons vite compris qu’il n’y avait pas d’espoir pour notre génération, malgré la bonne éducation scientifique qu’on avait re- çue pendant le régime. On s’est dit, si on ne peut pas sauver la nation, on va se sauver individuellement. Dans mon cas, j’avais déjà débuté comme auteure, en publiant trois livres qui avaient eu du succès. Ce succès me faisait cependant me demander si j’avais véritablement du talent où l’attention de la critique était due à ma célébrité comme journaliste. Si je restais, j’avais peur de m’arrêter à une formule gagnante, tomber dans le maniérisme, sans plus évoluer. Donc, ma décision de quitter la Roumanie est due premièrement à la déception face à l’état de la société et ensuite à mon défi personnel: je voulais essayer de publier mes livres ailleurs, écrire dans une autre langue et sur d’autres sujets. Parmi les quelques possibilités de partir que nous avions, je trouvais que l’Europe était assez fermée à nos égards. Les Roumains avaient acquis une mauvaise réputa- tion à cause d’une immigration chaotique, tandis qu’au Canada n’arrivaient que les élites des pays. C’était le seul pays occidental qui nous offrait un exil confortable, basé en fait sur un système de sélection qui représente un véritable vol d’intelligence. J’ai choisi le Québec à cause du français, une langue que j’étudiais depuis mes dix ans.

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Felicia Mihali* interviewée par Maura Felice**

 1. Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à quitter la Roumanie pour migrer au Québec ? 

L’idée d’émigrer m’est venue de manière presque spontanée, sans trop y réfléchir. C’était en 1999, lorsqu’un gouvernement d’allure plus démocratique avait remplacé celui communiste survenu après la chute de Ceausescu, en 1989. Au lieu d’un changement radical des structures, il était vite devenu évident pour tout le monde qu’on assistait en réalité à une sorte de maquillage de surface, sans aucun impact majeur sur les structures de profondeur. Dix ans après la chute d’un régime communiste qui avait fait la Roumanie retourner au Moyen Âge, l’espoir de la jeune génération d’assister aux changements, aux réformes, aux procès des anciens collaborateurs, à la condamnation des abus n’était plus qu’une illusion. La Roumanie n’a jamais été le pays des bouleversements radicaux. Chez nous, les nouveautés arrivent par inertie et lorsque le décalage avec le reste du monde devient trop évident. Bref, je n’avais pas le choix que de partir et d’essayer un destin à mon compte, au-delà des inadvertances nationales. La deuxième raison était qu’en 1999 je suis devenue officiellement écrivaine avec un livre qui a plu et qui a eu beaucoup de succès en Roumanie. Il s’agit du roman Le pays du fromage. D’une certaine manière, l’émigration était une manière de mettre à l’épreuve mon talent d’écrivain. Je me suis dit alors que s’il s’agissait d’un talent véritable, il devrait se confirmer aussi à l’extérieur. Le départ a été donc déterminé d’un côté par la déception devant l’immaturité politique de la Roumanie et, de l’autre, par l’espoir d’une réussite personnelle, au-delà de la frontière nationale. 

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Vanessa Pesarini 

Universita di Trento 

Anno accademico: 2016/2017 

 Felicia Mihali. Entretien avec Annie Heminway et Zoran Minderovic. 

Votre roman est une méditation polyphonique sur l’amour, la mort, la solitude, l’exil, l’absurdité de la banalité quotidienne. Y a-t-il un thème dominant ? 

F.M. Vous avez bien remarqué la structure polyphonique du livre, une structure où les thèmes se superposent pour former un vitrail multicolore qui laisse voir le dessin reconstitué des morceaux. Or, le dessin central de ce roman est une histoire d’amour inachevée en raison d’une multitude de facteurs, de la guerre, surtout. Bien que la guerre d’Afghanistan n’ait pas affecté la réalité quotidienne des Canadiens, notre manière de penser le monde a été éclaboussée par cette conflagration sans visage, à la maison, mais aussi elle a eu une forte répercussion sur la politique internationale. Le personnel est toujours en lien étroit avec la politique or, l’enjeu de mon livre a été précisément de personnifier ce contexte particulier au début du nouveau millénaire. Aussi loin que ces conflits se déroulent, en Asie, au Moyen-Orient en Afrique, nous subissons les répercussions chez nous, par la haine généralisée, par la peur face à certains groupes de population. En tant qu’individu, Irina représente la personnification du manque d’engagement des Occidentaux. C’est peut-être la première cause de son échec affectif. 

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Annie Heminway 

Zoran Minderovic

Publié dans Salon .ll. 

Septembre 17, 2014 

 On ne peut pas parler de l’écrivaine roumano-québécoise Felicia Mihali sans faire référence à la série d’aventures qui ont façonné sa vie : aventure de l’exil, aventure littéraire et multilinguistique, aventure de traductrice et d’éditrice engagée et tout simplement aventure d’une femme assoiffée de vivre pleinement ses nombreux projets dont un la préoccupe spécialement, celui du retour dans son pays d’origine et à l’écriture dans sa langue maternelle. 

Loin de se voir engloutie dans cette multitude de labeurs, et heureuse de croquer sa vie à pleines dents, Felicia Mihali se sent heureuse dans ce qu’elle entreprend et ne manque pas d’idées et de nouveaux projets. 

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Propos recueillis par Dan Burcea 

Photo de Felicia Mihali ©Danila Razykov 

Publié dans Lettres Capitales

Notice bio-bibliographique :

Née en Roumanie, le 20 août 1967, Felicia Mihali est diplômée  en philologie (1995) et en études chinoises et néerlandaises (1997) à l’Université de Bucarest.
Pendant sept ans (1993-2000), elle a été  chroniqueur de théâtre au  quotidien bucarestois, «Evenimentul zilei» (L’Événement du jour), puis en 2000 elle a choisi de vivre  au Québec. En 2001 elle a obtenu  un Certificat en Histoire de l’Art à L’Université de Montréal. Deux ans plus tard, en 2003 la même université montréalaise lui a  accordé le titre de Maître ès lettres, avec un mémoire portant sur la littérature postcoloniale.
En  2003 Felicia Mihali  est partie en Chine où elle est restée un an pour travailler comme professeur de français. Recevant une  bourse de création  du Conseil des arts et des lettres du Québec en 2004 pour le projet du roman « La Reine et le Soldat », elle publie ce volume en 2005. Felicia Mihali est rédacteur en chef de la revue culturelle on line « Terra Nova Magazine »  (www.terranovamagazine.ca)

Livres publiés en Roumanie :
« Tara brînzei », Bucarest, Ed. Image, 1998
« Mica istorie », Bucarest, Ed. Image, 1999
« Eu, Luca şi chinezul », Bucarest, Ed. Image, 2000

Livres publiés au Canada :
« Le Pays du fromage », Montréal, XYZ éditeur, 2002
« Luc, le Chinois et moi », Montréal, XYZ éditeur, 2004
« La reine et le soldat »,  Montréal, XYZ éditeur, 2005

Même si elle vit au Québec depuis sept ans seulement, Felicia Mihali s’est imposée dans « la belle province » par ses trois romans en français, qui lui réservent une place de choix parmi ceux qu’on appelle « écrivains migrants », comme Marco Micone, Sergio Kokis ou Abla Farhoud.
En fait, Felicia Mihali – que j’ai eu le plaisir de rencontrer au Congrès du C.I.E.F. organisé à Sinaia en 2006 – est beaucoup plus qu’une « migrante », car elle conserve les deux versants de son identité créatrice. C’est au sujet de ce rapport particulier entre ses écrits de la période roumaine et sa création en français que la jeune romancière montréalaise m’a fait l’amitié de réfléchir, pour ce numéro spécial de notre revue, autour de l’autotraduction.

Elena -Brandusa Steiciuc : -Lorsque vous avez décidé de quitter la Roumanie, Felicia Mihali, vous étiez déjà un jeune auteur à succès, surtout si nous pensons à « Tara brînzei », roman salué par la critique. Qu’est-ce qui vous a déterminée à traverser l’océan et à vous installer dans un nouveau pays, dans une nouvelle langue ? Saviez-vous à l’époque  que cet événement de votre biographie allait déclencher la genèse de votre œuvre en français ?

Felicia Mihali : – Je le savais évidemment, car je l’avais prévu. La raison pour laquelle j’ai laissé derrière mon vécu en Roumanie a été mes livres. Je n’avais pas envisagé toutes les difficultés que le déménagement dans un pays parlant une autre langue impliquerait, mais j’étais prête à tout. J’étais plus jeune aussi, car maintenant, même pour moi, ce trajet me semble trop épineux pour  qu’un auteur le suive : je conseille aux auteurs de ne faire le pas que s’il est impérieusement nécessaire. Je vous dis une banalité, mais nous savons tous que la littérature est étroitement liée à la langue. En immigrant, vous perdez justement l’outil que vous utilisez le plus; acquérir un autre langage et le maîtriser à la perfection, cela implique non seulement de grands efforts, mais également des renoncements. Je pense qu’aucun auteur ne sera capable des mêmes prouesses à l’écrit dans une autre langue et qu’il n’y a rien qui remplace la dextérité et la facilité à s’exprimer dans la langue maternelle. Dans la nouvelle langue, la forme du texte est  toujours pire que dans la langue maternelle. Mais ce que l’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre. Si la forme est plus pauvre, le contenu est sûrement plus riche. Et cela vous pousse vers l’avant. On se résigne à ce que la langue de création soit  un amas de clichés que l’on apprend petit à petit, avec beaucoup de pratique et d’application. Voilà la tâche que je me suis imposée et que je suis scrupuleusement.

E-B. S. :-Vous avez pratiquement traduit vous-même en français vos textes publiés en Roumanie, à savoir « Tara brînzei » et « Luca, chinezul şi eu ». Parlez-nous de cette expérience de l’autotraduction, telle que vous l’avez pratiquée ou la pratiquez encore. En tant que traductrice de vos propres textes, les avez-vous re-créés, remodelés, voire re-construits  en langue-cible, ou bien vous vous êtes imposé un certain parallélisme, une fidélité au texte-source ?

F.M. – Ce choix m’a été imposé par la nécessité. J’ai commencé à traduire mes textes au lendemain de mon arrivée, comme palliatif à la dépression, au manque de confiance qui caractérise chaque immigrant lorsqu’il se réveille dans un bâtiment où il ne comprend ni les sons ni les bruits. Mes livres étaient ce que j’avais amené de plus important dans mes bagages et j’étais pressée de les faire revivre. En les lisant en roumain, je vous avoue sincèrement que je ne les aimais plus : ils me semblaient fades par rapport à la nouvelle réalité et je me demandais, avec grande peine, qui serait intéressé par des histoires qui parlent de la détresse roumaine, à la ville comme à la campagne. La traduction vers le français les a chargés de mystère, les mêmes phrases et images rédigées en d’autres mots parlaient un peu d’autre chose. Le pire était que je savais combien difficile serait de convaincre les éditeurs d’ici de la valeur de mes écrits, s’il y en avait une. Ce que je me suis promis avec entêtement a été de ne rien changer dans mes textes. À part quelques phrases que j’ai ajoutées au Pays du fromage, pour que le lecteur étranger comprenne mieux les affres du communisme, et quelques pages que j’ai supprimées dans Luc, le Chinois et moi, car trop descriptives, j’ai fidèlement préservé l’original. C’est un devoir de respecter l’intégrité des textes : l’auto traduction doit être aussi fidèle que la traduction par un autre, elle doit respecter le texte comme étant celui d’autrui. En me traduisant, je voulais me voir résonner dans une autre langue, mais je ne voulais rien changer, politique que j’ai appliquée pour tous mes livres. La rencontre avec la nouvelle langue s’est produite sur et dans mes textes, car je me réveillais devant la dure réalité que ce qui était beau en roumain ne l’était plus en français. D’autre part, j’étais surprise qu’en français certaines choses peuvent être dites d’une manière plus concise et même plus évocatrice. L’autotraduction n’est pas un jeu de hasard : on sait qu’on perd, mais il faut s’assurer qu’on gagne autant.

E-B. S.  – « Tara brînzei », votre premier volume publié en Roumanie, semble reposer sur le cioranien « inconvénient d’être né » dans un pays obscur, auquel l’héroïne a du mal à s’adapter, surtout à ses odeurs très persistantes, comme celle du fromage, leitmotiv du texte. Quittant la capitale à la suite d’une crise maritale et de son licenciement, la narratrice revient dans le village presque désert de ses ancêtres et vit pendant quelque temps dans la maison de ses parents et de ses grands-parents. Tout tombe en ruine autour d’elle, qui s’engouffre dans une sorte de torpeur, d’aboulie d’où rien ne peut la tirer ; elle vit dans un monde de fantasmes où des images d’ancêtres se mêlent à des figures mythiques, dans une tentative d’identification de la jeune femme à ses aïeules, dont la relation de couple était gouvernée par la violence. Tout cela dans un pays fruste où « tout était estimé selon la valeur du fromage et tout sentait le fromage ». Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre, véritable cri d’une inadaptation extrême ?

 

F.M. – Le pays du fromage a eu une genèse étendue sur plusieurs années et correspond à plusieurs plans artistiques et personnels. J’ai travaillé à ce roman pendant deux ans, mais avec de très grandes pauses, dues au fait que j’étais trop occupée par mon travail au journal et à l’école. J’ai intensifié le travail lorsque j’ai fini mes études, soit après 1997.  Comme genre littéraire, je sortais de l’école un peu fatiguée du postmodernisme et du fait que je ne savais pas encore ce que cela voulait dire exactement. Ce que je savais en revanche, c’était que je ne voulais pas être une auteure postmoderne. Après le maniérisme et le mélange surréaliste de ce mouvement, il me semblait que la littérature devait finalement revenir à un réalisme sincère, à des histoires modestes, ouvrant des chemins aux domaines parallèles à la littérature. Il me semblait que l’histoire comme telle devait rester simple en apparence, mais incommensurablement compliquée en profondeur. L’art de l’écrit me semblait prêt à être métissé avec le cinéma, le théâtre, la peinture, et même la politique. La littérature était devenue pour moi le carrefour de tous les arts, car si l’être humain est encore capable de tout dire c’est surtout à travers la parole qu’il le fait. Il ne fallait donc pas appauvrir cet art, mais l’enrichir de choses nouvelles, lui donner une chance par son renouvellement. Je ne sais pas si j’ai réussi, mais j’ai fortement essayé de semer dans mes livres des  bribes du passé et de l’avenir, du proche et du lointain, du mien et de l’autre. À cet effet, j’ai profité de mon expérience de journaliste culturelle, en contact avec le milieu artistique mais politique aussi. À l’époque, je touchais à presque tous les domaines artistiques de la capitale roumaine et, de plus, je lisais beaucoup de journaux. Je lis encore la presse avec la passion qu’on met dans un roman policier. J’ai voulu rassembler cette vision globalisante avec une expérience terrestre, charnelle. Les deux se faisaient réciproquement supportables. Quelque farfelu que cela puisse paraître, il me semblait qu’en Roumanie plus qu’ailleurs, les auteurs devaient se faire le porte-parole de la société, de leur génération et de leur peine. Se tenir à côté à l’époque me semblait une lâcheté. Je ne veux pas être une auteure engagée, mais attentive et honnête. En restant passif, on laisse les canailles vous diriger, impunis. Sur le plan personnel, Le pays du fromage est aussi une histoire liée à ma biographie, car le livre a été conçu entre un divorce qui m’a laissée épuisée, et une époque de grande paix. Après de grandes peines, j’ai compris que les ressources sont en nous-mêmes et qu’une femme vaincue est un péché contre le Dieu de la création qui voulait qu’Ève continue à travailler pour nourrir sa progéniture.

E-B. S. :-Quelles ont été les difficultés majeures dans l’activité de traduction de ce roman, auquel la critique québécoise a trouvé une ressemblance avec « Une saison dans la vie d’Emmanuel », célèbre ouvrage  de Marie-Claire Blais ? Votre texte, même s’il place l’héroïne dans une atmosphère plus ou moins intemporelle, où les précisions spatiales sont peu nombreuses, donne au lecteur étranger une image de la plaine roumaine et d’une civilisation balkanique en train de disparaître. Certains détails demandent des explications pour les lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec cet espace, par exemple la note de la page 96, sur le mot « colac ». Avez-vous buté sur des difficultés insurmontables ou bien cette opération s’est passée sans beaucoup de contraintes ?

 

F.M. – La manière de laquelle j’ai mené cette bataille de conquérir le public québécois me semble maintenant une étrange contradiction. Je voulais désespérément publier dans ce pays, car cela était mon but déclaré dès mon départ. J’aurais pu rentrer évidemment, le retour au pays ne m’aurait pas affectée personnellement, mais cela aurait été la preuve que mes livres ne valaient rien. Cela aurait été le plus dur à supporter, car autrement je n’ai jamais été sensible aux on-dit. Je travaillais, donc, avec acharnement à la traduction sans jamais penser que peut-être, pour réussir, il aurait fallu réinventer et réécrire. Je n’ai jamais pensé à trahir mes livres et à me renier moi-même, mon passé et mon vécu. Avec un orgueil dangereux je pensais que le public devait être amené vers ces livres sans détour et sans concession à la mode littéraire. À quarante ans, plus chevronnée  et moins naïve, cette rigidité me surprend. Toutefois, je ne ferais jamais autrement. À l’apparition de mon deuxième romanLuc, le Chinois et moi, j’ai failli rompre avec mon éditeur. Il voulait que je renonce aux chapitres concernant l’histoire du journal. Lui, il était intéressé par la réception critique, moi par la fidélité. Je lui ai dit que tout ce que je pouvais faire était de réduire de quelques paragraphes, mais que le roman resterait tel quel ou on ne le publierait pas du tout. Je pense que la bonne réception d’un auteur tient aussi de sa dignité à défendre ses livres. Tôt ou tard, on arrive à regretter la trahison, les retouches, la concession. S’il n’est pas trop tard, un écrivain arrive à comprendre qu’il a aussi un devoir, et que l’honnêteté est son plus grand allié. Je ne ferai jamais rabais de mon identité, la vraie.

E-B. S. : – Le dernier en date de vos ouvrages, « La reine et le soldat », est en même temps le premier d’une série (que nous vous souhaitons très longue !) où vous vous attachez à écrire directement en français. En lisant ce superbe roman on ne peut pas rester indifférent à la minutie et à la majesté de la reconstitution historique, à la mise en parallèle du passé et du présent, à ce face à face permanent entre Orient et Occident. En fait, vous y  reconstituez avec les moyens du prosateur une époque ancienne de l’histoire des Perses, immédiatement après la conquête du pays par Alexandre le Grand. Sur cette toile de fond se déroule la rencontre des deux personnages, la reine Sisyggambris, mère de Darius, et le jeune soldat grec Polystratus, chargé de la garde du palais et donc des appartements de la reine. L’attraction entre les deux est  inévitable, car  la reine, même vieille femme,  symbolise aux yeux du soldat rustre et mal odorant le comble du raffinement oriental, alors que pour elle, il représente la force virile du conquérant. Votre roman joue également sur le parallélisme entre passé et présent et de nombreux clins d’œil renvoient à l’actualité du début de ce millénaire, comme la guerre en Irak (« Alexandre délivrait des peuples qui ne voulaient pas être délivrés…Ceux qui s’avancent trop  sur le territoire des autres ne sont en aucun cas des libérateurs », p. 139) ou comme ce terrible « clash » des civilisations, qui oppose de plus en plus Occident et Orient. Est-ce que votre première expérience comme écrivain de langue française s’est complètement passée du soutien de votre langue maternelle ? Avez-vous complètement renoncé à l’autotraduction pour « La reine et le soldat » ? Quels ont été les défis d’une telle rédaction ?

F.M. – Pour ce roman, j’avais un petit noyau de cinquante pages environ en roumain. J’ai commencé ce livre à l’époque de mes études en néerlandais, lorsqu’un de mes professeurs m’a  donné en cadeau le livre de Louis Couperus, Iskenderun. Aucun Occidental ne peut se passer de cette vision glorieuse du grand conquérant qui avait poussé les limites du monde connu, et à qui on attribue les atours d’un civilisateur. Je me plaisais à ce travail de glorifier un héros. Au Québec, pendant les trois premières années, j’ai laissé de côté ce roman, car je n’avais pas le temps de m’y pencher. J’étais occupée avec mes études de maîtrise et aussi avec la traduction de mes propres livres. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi j’ai recouru à cette stratégie de publier d’abord les œuvres roumaines, en traduction. Peut-être que d’une certaine manière je voyais mes anciens livres comme des pions de sacrifice, je savais que même si la réception était bonne, cela ne voulait pas dire grand-chose pour moi. Entre temps, il y a eu le 11 septembre, la guerre en Afghanistan, la guerre en Irak. En plus, ma vision d’immigrante, de quelqu’un appartenant aux communautés culturelles, aux plus faibles, avait changé ma manière de regarder Alexandre. Mon amour pour lui avait flétri. Il ne me semblait rien d’autre qu’un aventurier, car de sa campagne en Asie rien n’est resté à part quelques toponymes. La gloire d’Alexandre est due à cette tragique réalité que l’histoire est écrite par les vaincus, et que pour envahir et détruire les plus faibles on n’a besoin que d’un insignifiant prétexte. De retour de Chine, j’ai recommencé ce livre avec grand appétit, renonçant à beaucoup de détails du projet originel. J’en savais plus qu’avant sur ce monde. Si ce n’est que pour ces expériences, mon départ de Roumanie vaut le coup. Dans ce roman, je pouvais maintenant parler de l’Asie, comme je l’ai perçue en Chine, de mon expérience d’immigrante et du travail d’embrasser une autre langue, de ma révolte et de mon impuissance, de ma colère. Ça a été un drôle de spectacle de voir que tous savent, qu’on s’indigne devant la télé, mais qu’on ne peut rien faire contre les agresseurs. Ce roman a été mon humble protestation. Elle est peut-être difficile à repérer dans le luxe de la description, mais elle est toujours là.

 

E-B. S. – Une dernière question, portant maintenant sur l’avenir : quoi de neuf dans votre chantier de travail ? Quels nouveaux titres réservez-vous à vos lecteurs, que ce soit au Québec, en Roumanie et dans tout le monde francophone ?

 

F.M. – Je me considère  une auteure heureuse, car j’ai encore plein d’idées, mais je n’ai pas assez de temps pour les réaliser. Cela me stimule cependant, car rien n’est plus grave qu’un auteur sans idées. Mes projets d’avenir sont évidemment rédigés directement en français. J’attends encore le verdict de mon éditeur sur Sweet, Sweet, China qui devrait paraître au mois de novembre de cette année, mais on ne sait jamais. Ensuite, je travaille à un roman qui s’appelle Dina, et qui est encore une fois lié à la Roumanie. Mais comme je le disais, je ne renoncerais jamais à un livre qui vient vers moi avec générosité et beauté, pour la raison que la Roumanie est loin du Canada et que cela pourrait ne pas intéresser le public d’ici. Je suis sûre qu’un bon livre intéresse toujours. Mon seul souci est donc de faire de mon mieux. Je ne peux nier ce que je suis, car les autres le savent autant que moi. Au mois de mars, je suis allée en Italie, à l’Université de Calabre, invitée par Gisèle Vanhese, une personne remarquable, également aimante de la culture roumaine et française. À cette occasion, j’ai pu participer à un colloque dans un village d’Albanais, réfugiés en Italie au XV-ème  siècle pour fuir l’Empire Ottoman. Le sujet de ce colloque était principalement  axé sur la tradition balkanique, en l’occurrence une fameuse ballade populaire albanaise, Constantin et Doruntina. Nous avons été surprises, Gisèle et moi, de constater  combien j’étais encore liée à cette tradition balkanique. Comme preuve, dans mon dernier roman j’utilise une phrase issue du roman d’Ismail Kadare, Qui a ramené Doruntina, qui parle justement de la légende d’une sœur ramenée à la maison par le fantôme de son frère.  Gisèle, avec son œil de spécialiste, a décelé plus que moi mon vrai filon. Même les questions de ses étudiants m’ont aidée à savoir qui je suis vraiment. Mes projets seront donc en accord avec cette tradition, et avec ce qui s’y ajoutera en cours de route.

 

E-B. S. – Au nom des lecteurs d’ATELIER DE TRADUCTION, un grand MERCI, Felicia Mihali !

Publié dans la revue ATELIER DE TRADUCTION, Les Éditions de l’Université de Suceava, avec le soutien de l’AUF et de l’Union Latine, no. 7, 2007, p.15

Par Elena-Brandusa Steiciuc

Alliant carnets de voyage, données historiques et rêveries, Felicia Mihali livre un portrait résolument intime de la Chine et des mouvances intérieures des immigrants dans Sweet, sweet China.

«Ce livre fut écrit en tant que manuel de sauvetage pendant mon naufrage sur l’île de la Chine» peut-on lire à la fin de l’étonnant roman de l’auteure québécoise d’origine roumaine, Felicia Mihali (Le pays du fromage).

«Quand je suis partie en Chine, je n’avais pas du tout l’intention d’écrire un livre, confirme l’auteure qui fut appelée à se rendre là-bas, en 2002, afin d’aider des groupes de Chinois dans leur demande d’immigration au Québec. «J’étais au Québec depuis trois ans et, ce n’est pas que je ne trouvais pas ma place mais je me posais des questions. Est-ce que j’ai bien fait de venir ici? Devrais-je retourner en Roumanie? … Je pense qu’il est sain que chaque immigrant se questionne sur sa nouvelle identité.»

L’auteure a donc sauté sur l’occasion de renouer avec ses études de chinois pour entreprendre une quête initiatique de 10 mois. «Ce fut un véritable retour dans le passé, relate Mihali, qui a vécu 23 ans sous le régime communiste dans son pays natal avant d’émigrer au Québec. «Pékin m’est apparue comme un Bucarest multiplié par 10. J’ai alors commencé à écrire, à tenir un journal et à prendre des photos, pour ne pas sombrer, tant j’étais perdue. Je regardais beaucoup tous ces westerns chinois à la télé qui essaient de récupérer un passé détruit. J’entendais aussi des histoires que me racontaient mes étudiants. J’ai eu alors très envie de faire un album d’art, un projet à la fois littéraire et visuel avec tout ça.»

Le pari semble impossible et pourtant, Felicia Mihali réussit avec virtuosité et intelligence à lier cette matière, transformant de simples carnets de voyage en véritable oeuvre littéraire foisonnante. Ajoutant une touche de réalisme magique, créant des entités traversant le temps, l’auteur fait entrer son alter ego, Augusta, en Chine comme dans un palais des miroirs où les épouses d’empereur, comme les étrangères, se cachent dans les replis d’encre des estampes, pendant que les étudiants chinois se perdent en conjectures à tenter de comprendre comment entrer au Québec.

«Je trouvais intéressant que la Chine soit découverte à travers les sens empiriques, poursuit-elle. En ce qui a trait aux photos, je ne voulais pas simplement souligner le propos. À l’aide d’une amie artiste en arts visuels, j’ai utilisé la technique du collage. Les photos sont donc un reflet de la technique narrative. L’aspect visuel reflète lui aussi une pensée cohérente, un discours.»

Au pays des mensonges

Si Felicia se renomme Augusta au sein du récit («je me sentais au mois d’août de ma vie», dira-t-elle), les extraits de son journal, eux, demeurent inchangés. Aucune contrefaçon donc dans cet ouvrage mais beaucoup de fantaisie et de mirages. «J’ai voulu rendre la frontière entre la réalité et la fiction très floue, explique l’auteure, si bien qu’on ne sait pas où sont les mensonges.»

C’est peut-être d’ailleurs le seul clin d’oeil que se permet l’auteure au régime communiste, un sujet planant comme un fantôme au-dessus des pages sans jamais s’y poser réellement. «Le communisme est un régime où la liberté ne fonctionne pas vraiment, répond Mihali lorsqu’on la questionne sur sa réserve. Or, dans mon travail, je devais aider les Chinois à répondre à la question: pourquoi voulez-vous partir? Vous comprendrez que la question était doublement délicate.

«J’aurais voulu pouvoir me moquer de certaines choses, en parler du moins, poursuit-elle. Mais connaissant le système, je savais qu’il peut toujours y avoir, même parmi mes étudiants, quelqu’un qui risque de rapporter ce que j’ai dit. Ici, on ne sent pas l’appareil oppressif. On associe la Chine à la mauvaise marchandise. Mais le régime, là-bas, ça fonctionne. La peine capitale, les emprisonnements, ça existe. Alors, il faut bien tenir sa langue. On ne parle pas de politique là-bas. De même qu’on ne joue pas avec le communisme.»

L’esprit et l’originalité de l’oeuvre n’empêchent pas l’auteure de glisser certaines notions historiques judicieusement choisies, nous ouvrant la porte sur un monde magique ayant des assises dans la réalité. Mais surtout, Sweet, sweet China effleure avec tendresse les vertiges identitaires des nouveaux nomades, les immigrants.

«Tout comme pour le personnage d’Augusta, la Chine fut pour moi la cime d’un triangle qui réconcilie les deux parties de mon identité, l’identité roumaine et québécoise, témoigne Mihali. Ce fut d’ailleurs un choc de découvrir que j’appartenais finalement aux valeurs de l’Ouest. Cette aventure m’a donc permis d’échapper à la nostalgie. Mais voilà, pour vivre l’expérience de l’intégration, il faut être patient et ne rien brusquer…»

La Presse
Collaboration spéciale
Le dimanche 03 février 2008
Jade Bérubé

Littérature québécoise

Née en Roumanie, Felicia Mihali vit actuellement au Québec, où elle a fait une entrée fort remarquée sur la scène littéraire avec Le Pays du fromage. Dans La Reine et le Soldat, fresque située au royaume des Perses vers l’an 330 av. J.-C., la romancière met en scène Sisyggambris, la mère du roi Darius, qui assiste impuissante à l’écroulement de son royaume conquis par les troupes d’Alexandre le Grand, de Macédoine. Séduite par un jeune soldat grec dénommé Polystratus, la reine perse suivra celui-ci jusqu’en Grèce, où elle sera amenée par la force des choses à comparer leurs deux civilisations. Roman historique, roman d’amour, certes, mais aussi méditation sur l’impact de la guerre et sur la notion de barbarie — sujet contemporain s’il en est…

Troisième oeuvre de Mihali à paraître chez nous dans la langue de Molière, La Reine et le Soldat a connu une genèse bien particulière qui remonte au temps des études de la romancière dans sa Roumanie d’origine. C’est son professeur de littérature néerlandaise, raconte-t-elle, qui lui a offert le roman Iskandar de Louis Couperus : « J’avais beaucoup aimé ce livre, auquel j’emprunte un motif assez secondaire : le moment où, Darius vaincu, sa mère et sa fille deviennent les prisonnières d’Alexandre le Grand. La relation de Polystratus avec la reine n’existe pas chez Couperus. » Fière représentante d’une civilisation qui a dominé le Moyen- Orient pendant des siècles, Sisyggambris porte sur les envahisseurs de son royaume, ces brutes barbares venues de Grèce, un regard au début méprisant, qu’elle apprendra à atténuer au fil du récit. Compte tenu des racines grecques de la civilisation occidentale, cela apparaît un renversement de perspective assez intéressant. Qui plus est, en choisissant de raconter cet amour impossible entre la reine et un soldat fictif, Felicia Mihali s’offrait un terreau riche en potentiel romanesque : « J’aurais pu mettre l’accent sur la relation entre Sisyggambris et Alexandre, c’est vrai. Mais je me suis dit qu’Alexandre, qui avait été l’élève d’Aristote, était bien préparé pour rencontrer l’Autre, il était bien muni pour faire face à la reine. Je trouvais plus intéressant de donner à l’interlocuteur de la reine un niveau bien inférieur, de manière à lui faire acquérir une dimension d’éducatrice du conquérant. Voilà pourquoi je lui ai préféré le pauvre Polystratus. En fait, j’ai conçu mon roman autour de cette relation amoureuse entre deux personnes très différentes, qui l’une et l’autre feront l’expérience de l’exil. » De son propre aveu, Felicia Mihali n’anticipait pas que cette thématique de l’étranger plongé dans un milieu auquel on n’appartient pas tout à fait finirait par s’actualiser avec sa propre existence d’expatriée, qui a choisi de s’établir au Québec, en partie par amour pour la langue française : « Au début de mon livre, Polystratus est perçu comme un conquérant, un agresseur, mais pour lui aussi la vie n’était pas facile. Il a ses peurs, ses doutes, ce qui n’apparaîtra qu’un peu plus tard, au moment où il aura l’impression d’être plus familier avec les lieux. Car je crois que plus tu te familiarises avec les lieux de ton exil, plus tu es étranger. »

De l’actualité de l’Histoire

Qu’après deux romans plus manifestement proches de ses expériences personnelles, voire nourris d’expériences autobiographiques, Mihali choisisse de camper cette histoire dans le Moyen- Orient d’il y a presque trois millénaires peut avoir l’air d’une rupture dans son oeuvre. Elle en convient volontiers et renchérit même, mais avec certaines nuances : « Vous savez, malheureusement pour moi, un roman que j’ai publié en Roumanie entre Le Pays du fromage et Luc, le Chinois et moi n’a pas été publié ici, ce qui donne une image incomplète de mon travail. J’ai jusqu’ici toujours écrit selon un principe d’alternance entre des romans plutôt réalistes et des romans d’évasion dans un espace parfois historique, parfois intemporel. Après La Reine et le Soldat, je publierai Ma douce Asie, qui revient sur ma vie en Chine. » L’évasion, on veut bien, mais un roman à caractère historique n’impose-t-il pas, par sa nature même, un défi d’écriture, de recréation plus fastidieux que l’oeuvre campée dans un contexte contemporain ? En fait, selon Mihali, « le plus grand défi tient au fait que ces romans exigent beaucoup de documentation. Une romancière ne peut pas s’embarquer dans une telle entreprise si elle n’a pas le temps de lire les chroniques qui racontent l’époque où elle veut situer son intrigue. Et quand on veut recréer une époque, on doit aussi consulter des sources autres qu’historiques, on doit s’intéresser aux coutumes, à la littérature, à l’art militaire de cette époque. » Même si le décor de La Reine et le Soldat semble fort éloigné du nôtre, certains aspects de son propos n’en demeurent pas moins d’une actualité évidente, au lendemain de la guerre en Irak, d’où les forces d’occupation américaines ne semblent pas près de se retirer : « Je déteste ce cliché qui veut que l’Histoire se répète, mais en écrivant ce roman j’ai découvert qu’il y avait un peu de vrai dans cette affirmation, parce que l’homme ne change pas ou change si peu… C’est pourquoi il répète les mêmes erreurs, garde au fil des siècles la même façon de penser et d’agir. » La romancière se garde bien de juger le monde actuel selon une grille manichéenne, mais reconnaît que « quand les événements du 11 septembre 2001 sont survenus, quand la guerre d’Irak a éclaté, j’ai complètement changé d’avis sur les campagnes d’Alexandre en relisant les chroniques qui présentent un visage glorieux du conquérant. » Ainsi, le parallèle entre les occupants américains de Bagdad et les soldats grecs stationnés dans le royaume de Sisyggambris et perçus par elle comme des rustres et des barbares n’est pas fortuit : « Quand on relit entre les lignes les chroniques des campagnes d’Alexandre, on se rend compte que les choses étaient assez semblables à la situation actuelle, affirme Felicia Mihali. J’ai été choquée de découvrir le même manque de motivations, les mêmes fausses raisons d’envahir les autres, de les détruire sous prétexte de les civiliser. » Sachant cela, on ne s’étonnera alors pas que l’auteure puisse écrire que « la reine savait d’avance combien braves pouvaient être les Occidentaux pour qui la guerre constituait le métier le plus rentable », commentaire vraisemblablement applicable autant aux Grecs de l’Antiquité qu’aux Américains d’aujourd’hui.

Par Stanley Péan

 Questions for Felicia 

1. What brought you to Canada? Was it a conscious decision on your part? 

F.M.: I left Romania in 2000 after publishing three books that enjoyed an excellent reception. I was also working as journalist for the biggest Romanian newspaper, I was in love after a painful divorce, and I was happy. However, ten years after the fall of the communist regime I felt that we as a nation were not following the right path. An individual could not do much against a society ruled by corruption, lack of democratic practices, resentment and discrimination against women, minorities and religions. The problem, I think, with people that have lived for too long under a dictatorship is that they do not know the truth about themselves, nor about the world for that matter. Worst of it, they are not eagerly accepting any criticism whatsoever. In a way we were still living with the feeling we are the bravest, the smartest. Ceausescu did not completely die. He had taught us we were the best nation in the world and we were not willing to let it go. I felt disarmed, powerless in the face of this persistent ideology, so I decided to leave the country at least for a short period of time. Or maybe, I just wanted to try something else, to do better or just to prove that I’m really a good writer not only according to Romanian standards. 

Read the whole interview HERE

 

By Eniko Sepsi 

Revue d’Études Canadiennes en Europe Centrale. 

2022 

-Bonjour Félicia, pouvez-vous nous présenter à nos lecteurs ? Qui êtes vous ? Quel est votre parcours ? Le public des Éditions Hashtag ?

 

Née en Roumanie, je vis au Québec depuis 18 ans. J’ai commencé à écrire en roumain, ensuite j’ai renoncé à ma langue maternelle pour passer à la création en français et en anglais. Jusqu’à présent, j’ai publié neuf romans en français et deux en anglais, avec Éditions XYZ, respectivement Linda Leith Publishing. En parallèle, je me suis aussi consacrée au journalisme, en tant qu’éditeur en chef du magazine Terra Nova, et à l’enseignement du français et de l’histoire. Présentement, je relève un nouveau défi, celui d’éditrice, avec une maison d’édition que j’ai fondée avec une équipe formée de collègues et d’amis littéraires.

 

On vous connaît comme auteure, aujourd’hui vous êtes éditrice, comment fait-on pour passer d’auteure à éditrice ?

 

Je suis encore à mes débuts comme éditrice et cela peut être une bonne et une mauvaise chose en même temps. Le bon côté est le fait que, en tant que lectrice avisée, je demande aux autres ce que j’omets de faire comme écrivain. Comme écrivain, on est souvent désordonné avec nos idées et la manière de les exprimer, on fait des concessions aux longueurs inexpressives qui embourbent l’action. Comme éditeur, on apprend à couper dans le gras sans pitié. Et ceux qui ne veulent pas accepter cette manière impitoyable de travailler le texte ne peuvent pas publier chez Hashtag.  Le côté moins glamour est que ce travail dévore tout mon temps. J’ai le sentiment que pour les quelques années à venir, je vais pouvoir me consacrer moins à mes propre projets littéraires. J’espère toutefois que cette expérience sera des plus enrichissantes, et qu’elle va m’aider à devenir un meilleur écrivain.

 

Pourquoi êtes-vous devenue éditrice ? En quoi consiste le métier d’éditeur ?

 

Mon initiative est partie d’un état de mécontentement quant à la production littéraire québécoise et canadienne dans le sens large. Malgré notre grande ouverture spirituelle vers le monde, en matière de culture nous restons, je pense,  assez provinciaux, prisonniers des modes, des tendances, des amitiés, des voisinages, des traditions littéraires. On risque ainsi de rater un bon nombre d’auteurs moins publicisés à cause de leur faible rentabilité en matière de ventes. Des auteurs comme James Joyce, Marcel Proust ou Virginia Wolf, qui sont justement les fondateurs de la modernité littéraire, ne pourraient jamais publier de nos jours. D’ailleurs Virginia Wolf elle-même a fondé sa maison d’édition pour publier des textes qui n’avaient pas beaucoup d’appeal pour les éditeurs britanniques à l’époque. Je ne dis pas que ce qu’on publie au Québec et au Canada est mauvais, bien au contraire, sauf que le paysage manque cruellement de diversité. Et par diversité je ne dis pas seulement diversité ethnique mais aussi bien sexuelle ou générationnelle. Il est rare de voir un début à soixante ans, par exemple, ou à vingt ans. Et comme formation, on se fie surtout aux ressortissants des départements de création littéraire, ce qui donne des œuvres bien écrites mais sans trame narrative. Comme vous voyez, il y a beaucoup de lacunes à remplir, des espaces que peu d’éditeurs veulent explorer de ce côté-ci de l’océan. Nous voudrions donner voix aux bons auteurs et rester autant que possible loin du star-system qui domine la littérature tout comme le cinéma.  Allain Robe-Grillet disait qu’un éditeur publie des livres pour faire de l’argent, alors qu’un BON éditeur publie des livres que personne ne lit. Lorsque son roman Les gommes avait été publié dans la décennie cinquante, il s’était vendu à 400 exemplaires dans toute la francophonie. En même temps, la vague du nouveau roman, dont il faisait partie, avait rendu les Éditions de Minuit d’une petite maison débutante dans ce qu’elle est devenue maintenant, une des plus grandes institutions culturelles. Nous ne sommes pas aussi braves pour publier ce que personne ne lit, mais nous espérons cependant faire des découvertes toute aussi intéressantes que le nouveau roman dans les années cinquante.

 

Comment, selon vous, doit être la relation d’un éditeur avec ses écrivains ?

 

Pour le moment, mon expérience est assez limitée mais elle a été enrichissante des deux côtés. Si les jeunes écrivains que j’ai accompagnés se sont découverts comme auteurs, moi aussi j’ai appris à devenir éditrice et travailler sur un manuscrit qui n’est pas le mien. Pendant cette démarche, j’ai eu la chance de travailler avec des auteurs qui m’ont fait confiance et ont écouté jusqu’au bout les suggestions de réécriture. Avec les écrivains en général,  la tâche la plus difficile est de les convaincre qu’ils n’ont pas créé l’œuvre parfaite. Leur demander des changements est synonyme pour eux d’un harakiri. Ils faut accepter que les modifications ne sont qu’une chirurgie douloureuse pour le bien-être du corps entier.  Il y a certainement des exceptions à cette règle et nous sommes très ouverts pour publier l’œuvre parfaite, sans avoir à travailler dessus. Cela va nous sauver du temps et de l’argent. Ce que nous espérons fortement est de ne jamais être obligés de faire des concessions et commencer à publier les œuvres des amis, des personnes influentes, des ceux avec connections dans le milieu culturel. C’est cela qui tue l’industrie du livre et aucun éditeur ne peut échapper à ce système de réseautage.

 

Quel type d’auteur souhaiteriez-vous avoir dans votre maison d’édition ?

 

Nous sommes intéressés par la bonne littérature d’abord dans le sens un peu désuet si vous voulez. Nous aimons l’encyclopédisme, l’érudition, l’aventure spirituelle. Nous voulons fouiller dans les communautés ethniques, celles qui n’intéressent pas les autres éditeurs. Pour beaucoup, diversité ethnique veut dire minorité visible, alors qu’il y a une grande diversité ethnique blanche, complètement invisible. Ou sont les auteurs en provenance de la communauté bulgare, tchèque, polonaise, serbe, portugaise, ukrainienne, russe, iranienne, irakienne, syrienne, etc ? Dans le cas d’un écrivain, ce qui fait la différence n’est pas la peau mais la langue, or cela s’avère parfois un défi de taille. Les auteurs qui écrivent en français ou anglais, alors qu’à la maison ils parlent une autre langue, doivent faire face à beaucoup d’obstacles avant d’aboutir à la publication. Face à un tel manuscrit, un éditeur hésite pour des bonnes raison : leur manuscrit nécessite un travail de correction plus poussé et, de plus, la publicité sera entravée par l’accent d’un tel auteur. C’est tout à fait compréhensible, mais cela réduit vraiment les chances des auteurs migrants. Tout aussi désavantagées sont certaines minorités sexuelles comme les travestis ou les gens avec un handicap physique. On accepte les homosexuelles, mais on trouve encore que les queers sont un peu trop forts pour notre goût un peu bourgeois, quoi qu’on dise. Il y a aussi les très jeunes, des gens sortis de nulle part, avec un grand talent mais qui ne font par partie des castes et de groupes littéraires, qui ne se trouvent sous l’aile d’aucun grand écrivain qui ait dirigé sa thèse de maitrise ou de doctorat. En règle générale, on publie les professeurs d’université, les enseignants au collégiale, les journalistes, les gens de l’édition, les traducteurs, les animateurs, et d’autres acteurs de l’industrie du livre. Mais, selon les manuscrits qu’on reçoit, il y a une jeune génération québécoise si talentueuse et si peu visible, aussi peu visible que certaines minorités ethniques.

 

Quels sont les conseils que vous donneriez à un écrivain qui veut voir son texte accepté ?

 

Qu’il soit sincère dans son écriture, indifférent aux modes et courants littéraires.  Qu’il lise chaque jour après avoir fini sa période d’écriture. Qu’il soit humble, ouverte à la critique. Qu’il lise d’abord les livres de ceux qui dirigent Hashtag. Publier ce n’est pas tout. Si un auteur vient chez nous, c’est parce qu’il nous fait confiance : il veut publier avec nous parce qu’il nous aime et non pas parce qu’il a été refusé ailleurs. On ne publie pas ce qui est refusé ailleurs, à moins qu’on tombe sur des auteurs qui soient refusés justement parce qu’ils sont trop originaux ou parce qu’ils ne font pas partie des amis de la maison. Le livre peut être mal écrit ou achevé en proportion de 60%. Si on voit le potentiel, on est disposé à travailler avec l’auteur. Ce qu’on bannit chez nous ce sont les idées communes, la banalité, le bavardage, la platitude.

 

Quel est votre écrivain (e) préféré (e) et pourquoi lui ou elle et pas un (ou une) autre ?

 

J’en ai une panoplie, mais avec l’âge je me réfère toujours aux classiques qui restent aussi modernes et complexes. J’ai commencé mon apprentissage littéraire sous l’influence de Gogol,Tchekhov, Gombrowicz, Kadaré, Thomas Mann, Cervantès,Flaubert, Hesse, Pavese, Faulkner, Miller, Mailer, Berberova. Depuis mon arrivée au Canada, je me suis spécialisée en littérature postcoloniale où je suis tombée en amour avec des auteurs comme Salman Rushdie, VS Naipaul, Hanif Kureishi,Zadie Smith. Leurs œuvres font preuve d’une grande complexité toute en ayant un langage simple. On apprend, tout en se divertissant.

 

Le livre papier a-t-il encore de la valeur dans un monde hypernumérisant ?

 

Apparemment, oui. Les dernières études et statistiques montrent que le livre papier est plus en santé que jamais. Après des heures passées devant l’ordinateur ou l’écran du cellulaire, les gens ont vraiment envie de s’étendre au lit avec un livre dont les lignes ne glissent pas devant leurs yeux. La lecture est récemment devenue un moyen de repos contre l’agression cybernétique.

 

Que pensez-vous de l’autoédition ?

 

Je ne fais pas trop de confiance à l’autoédition, justement à cause du manque d’esprit critique et de la deuxième opinion. Je connais tellement d’auteurs qui s’auto-publient, mais leurs livres sont tout simplement illisibles. Je ne dis pas que cela ne peut donner de temps en temps de bons livres, sauf que je n’en ai pas encore rencontrés.

 

Un mot sur les prix littéraires ?

 

J’ai souvent été membre des jurys pour des prix ou des bourses littéraires, et j’ai toujours agi dans la bonne fois, essayant de ne jamais me laisser influencer par mes goûts littéraires ou mes sympathies personnelles. Je veux espérer que tous ceux et celles qui sont invités pour décider du sort d’un livre gardent en tête qu’on fait un travail pour l’avenir et non pas pour nos amis. Je n’ai pas été souvent déçue par les prix littéraires octroyés au Québec ou au Canada, à quelques exceptions près. Pour cela, je veux espérer que les jurys sont toujours formés des gens compétents et de bonne foi.

 

13-Est-ce que des écrivains pourront vous envoyer des livres pour traduction aussi ?

 

Nous ne publions que des œuvres originales, écrites en français. Les traductions se font à partir des œuvres publiées dans d’autres langues et cultures, ainsi que du Canada anglais.

Entretien réalisé par Nathasha Pemba
Le Sanctuaire de la Culture Publié le 15 octobre 2018 dans Conversations, par Nathasha Pemba